Les actuels propriétaires de la bijouterie, la famille Christidis-Mayer, troisième et quatrième générations, comme l’ont fait leurs parents avant eux, défient les aléas de l’histoire dans le souci de poursuivre l’idéal d’accueil, de courtoisie, de conseil, qui animait à l’origine les fondateurs de la bijouterie.
Ainsi, ancrés dans la tradition, ils confortent l’héritage reçu, perpétuant l’esprit de famille.
HISTOIRE D'UN CLAN
Fondateur des bijouteries portant son nom, Roman Mayer, né en 1859, est le neuvième d’une fratrie de quatorze enfants. Ses parents exploitent une importante et réputée auberge à Pforzheim, petite ville proche de Baden-Baden, alors capitale d’été où se retrouve tout le gotha européen, nobles, financiers et artistes.
Depuis le 18e siècle, Pforzheim est connue pour sa florissante industrie de joaillerie.
Ville bourgeoise, elle accueille de nombreux visiteurs. Eux-mêmes aisés, les enfants Mayer reçoivent une excellente éducation, côtoient des représentants des milieux financiers et industriels de l’époque.
Peu après le décès de sa mère Bonaventura Mayer, nanti d’un confortable héritage, Roman émigre en Suisse tout comme deux de ses aînés – Rudolf et Albert – et sa cadette – Anna – qui épouse à Lucerne le joaillier Emil Leicht.
Restés à Pforzheim, quatre des frères – Friederike, Auguste, Julius et Victor – fondent des manufactures de joaillerie. Ainsi naît un clan qui, à la fin du 19e siècle, détient en Suisse et en Allemagne 14 magasins de joaillerie et une importante manufacture.
Très soudés, entretenant d’étroites relations d’affaires les uns avec les autres, ils projettent de créer une corporation familiale libre. La première guerre mondiale (1914-1918) ne permit pas de concrétiser le projet.
Cependant, au cours du XXe siècle, des relations commerciales perdurent. Certes, elles sont intergénérationnelles, mais toujours aussi efficaces.
Albert et Otto, les fils de Roman, membres du CIO, feront fabriquer divers articles de joaillerie portant les anneaux olympiques lors des Jeux de 1936 par la manufacture de leur oncle Victor.
Plus tard, deux de leurs cousins – les fils de Julius – s’établissent à New York et représentent la marque Roman Mayer aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, il est intéressant de souligner que deux des branches, Victor à Pforzheim et Roman à Montreux, sont toujours aux mains de la famille Mayer, l’une et l’autre à la quatrième génération.
L’AVENTURE MONTREUSIENNE
Le 19 septembre 1888, Roman Mayer ouvre sous les arcades du plus prestigieux hôtel de l’époque, une joaillerie-bijouterie-articles souvenir.
A cette époque, la région montreusienne est en pleine mue. On y réalise les projets les plus audacieux, comme le funiculaire reliant Territet à Glion, inauguré en 1883 en présence de Victor Hugo.
A Territet, l’enseigne Roman Mayer connaît immédiatement le succès. Le lieu est en vogue. Impératrices, ducs, princesses, riches hôtes allemands, autrichiens, français ou anglais s’installent à l’hôtel, souvent pour des séjours de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois.
Par son rayonnement, son entregent et son sens des affaires, Joséphine Mayer contribue au développement de l’entreprise, tout en donnant naissance à cinq enfants : Albert, Otto, Gustave, Line et Ida, dont trois seront fidèles à la profession familiale.
A cette époque, la clientèle la plus titrée et fortunée, comme le simple touriste de passage, sont accueillis avec la même courtoisie. Ainsi se créent des liens qui traversent les siècles et les générations, aussi bien parmi les clients que chez les fournisseurs, et ce, tant à Montreux qu’en Suisse ou à l’étranger.
Parmi les nombreux clients de la bijouterie, la plus célèbre est l’Impératrice d’Autriche, l’attachante Sissi, qui séjournait régulièrement dans la station.
Le succès aidant et l’esprit d’entreprise qui l’anime, conduisent Roman Mayer et ses fils qui ont rejoint l’entreprise à ouvrir des succursales dans les stations en vogue : Vulpera, St-Moritz, Zermatt, Interlaken, Arosa, Montana, Lausanne.
Le 6 juin 1906, Roman Mayer acquiert la nationalité suisse. Ses enfants effectuent leurs formations professionnelles en Suisse et à l’étranger, tout en restant proches de leurs parents et de l’entreprise florissante.
Le 15 novembre 1911, Roman Mayer décède à Territet. Cet événement propulse Albert à la tête de la firme familiale. Les années 14-18 sont difficiles, mère et fils maintiennent la barre. Au lendemain du conflit, les affaires reprennent, la clientèle a modifié ses habitudes, aussi décident-ils d’ouvrir, en 1922, une succursale à Montreux, proche du Casino.
Il dirigera la bijouterie durant de nombreuses années avant de décéder subitement en 1968, propulsant sa fille Joséphine à la tête de la bijouterie alors âgée de 21 ans seulement.
Aujourd'hui, pour sa fille Joséphine et son gendre Petros, ses petits-enfants Alexandre et Stéphanie, tous impliqués dans l’affaire familiale, Albert R. Mayer reste la figure emblématique qu'il fut. Les troisième et quatrième générations poursuivent leur activité en gardiens de la mémoire et de la tradition familiale, tout en s'adaptant au temps qui passe et aux conditions qui évoluent.
Au détour d’une phrase, il n’est pas rare que l’un ou l’autre dise « Je voudrais lui ressembler ».